vendredi 1 juin 2012

Syndrome de Stockholm


Adieu S....N.

Pour la énième fois, je viens de quitter l'usine. D'habitude je la quitte brusquement pour partir en chômage forcé, parce que mes putains de contrats d'intérim ne peuvent pas être éternellement renouvelés. Cette fois-ci mon départ était prémédité, peut-être était-ce enfin un adieu. J'ai mis assez de sous de coté pour être rentier pendant quelque-temps. Je vais écrire des CV, des lettres de motivation, préparer des concours, des examens, me reconstruire un avenir pour de bon. Et surtout j'allais laisser toute cette merde derrière moi. 

Car c'est plus qu'un simple départ. Je pense avoir dit adieu aux horaires des 3x8, j'ai dit adieu à cette routine qui fait que tous les jours se ressemblent, j'ai dit adieu à tous les gens que j'ai connu pendant toutes ces années. Cet adieu s'apparente à un "plus jamais ça". Ces derniers mois j'ai été à deux doigts de perdre les pédales. J'ai complètement saturé, prêt à craquer et à péter les plombs. J'ai rejeté pour de bon l'autisme permanent de mes "supérieurs", la condescendance de cette "élite" en col blanc, l'agressivité de cette micro-société, la violence de cette pyramide hiérarchique omniprésente. Je n'en pouvais plus de supporter toutes ces absurdités de management, toutes ces hérésies. Je n'en pouvais plus de voir certains petits chefs prétentieux et incompétents réussir pendant que d'autres qui ont de réelles bonnes idées sont injustement placardisés et ignorés. Ces petits chefs qui dirigent sont des cafards: ils refusent d'évoluer mais en cas de nouvelle crise dans le secteur automobile, ils nous survivront à tous. Je n'en pouvais plus encaisser les coups sans rien dire. Finit le purgatoire, bonjour la liberté.

Dieu sait si les marques de confiance ont été rares pendant presque cinq années dans ce boui-boui, mais l'usine c'était pourtant également un lieu rassurant. Aujourd'hui je me sens comme un taulard sortit de cabane après une longue peine, car je n'ai rien connu d'autre après mes déboires universitaires. Même si on se demande ce qu'on fout là, on s'est tout de même habitué à ces murs de tôles, et pire: une fois dehors on a l'impression de ne rien savoir faire d'autre. On a peur de l'extérieur, peur de l'inconnu, peur de vivre un échec ailleurs... et on veut retourner dans le giron de ces murs rassurants presque protecteurs, là où on se force à penser que l'on est utile, là où les gens portent le même uniforme que vous et partagent vos galères. Petit à petit, à force de travailler à l'usine on fusionne avec elle, on acquiert la fierté d'appartenir à une corporation, on se forge une identité... et on ne peut pas s'en défaire du jour au lendemain. Oui, l'usine me manque. Elle faisait partie intégrante de moi.

Je veux y retourner.